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ET ILS TOURNENT LEURS YEUX...

Juin 2010 par Modotre
Très modestement écrit un tout petit peu à la façon de Charles Péguy, auteur tellement inspirant et qui m'a donné et me donne toujours et encore beaucoup à penser.

Je suis las, dit Dieu.
Las que ces pauvres âmes,
Bougrement âmes d'hommes
Lourdement terre-à-terre
Comme la terre est lourde,
Bougrement enfoncés des deux pieds sabotés
S'enfonçant dans la terre
- La terre grasse et lourde de la Terre des hommes -
Bougrement englaisés dans la profonde ornière
De leur justice d'homme terreusement humaine,
Me fassent jouer le rôle,
Le pire piètre rôle
D'un triste épouvantail au milieu de leurs champs
Labourés de mains d'hommes.
Comme si Mes moineaux, Mes tout petits moineaux
Et les autres oiseaux
Du Ciel,
Avaient urgent besoin que Je leur fasse peur !
... regardez les oiseaux du ciel ... 

Je suis las.
Las que ces pauvres âmes,
Bougrement aveuglées par les œillères opaques
De leur justice d'hommes théâtrale et humaine,
Me fassent jouer le rôle,
Le pire pitre rôle
D'un noir croque-mitaine dans leurs austères temples
Bétonnés de main d'hommes.
Comme si Mes enfants, Mes tout petits enfants
Sur Terre,
Avaient urgent besoin que Je leur fasse peur !
... laissez venir à Moi les petits enfants ...

Je suis las.
Las qu'ils prennent Ma place
Et se plaisent à jouer
En Mon nom falsifié,
L'unique ultime scène,
La dernière et la seule
Qui n'appartient qu'à Moi.
(Et encore M'en faudra-t-il, du temps, et de l’Éternité
 pour que Je la joue juste, au tout dernier matin
 humain
 que Je tarde à fixer).
La scène du Jugement qu'ils appellent dernier
Mais que journellement, du matin jusqu'au soir,
(Quand ce n'est pas la nuit pour gagner sur le temps),
Il Me font jouer faux,
Comme une marionnette de bois et de chiffon.

Comme une marionnette qui agite ses bras
Au rythme saccadé de deux bouts de ficelle
Qu'ils se plaisent à tirer,
Ces bougres myopes d'hommes,
Tantôt - et rarement - en direction du Ciel
Et tantôt - trop souvent - direction de l'Enfer,
Suivant qu'ils déterminent si Je suis
« Pour » ou « contre »,
Si Je sauve ou Je damne.

Je suis las.
Las d'être en fin de compte,
Toujours et à jamais,
L'unique responsable
De leurs évènements et de leurs hommeries,
De leurs sales combines et de leurs contre-temps,
De leurs ternes histoires et de leur Terre-Histoire.

Je suis las d'être assis, fonctionnaire-bureaucrate
À leurs tristes guichets
De causes entendues ou de causes-à-effets,
De rêves mal ficelés ou d'utopies perdues,
De sombres tribunaux ou
- C'est bien ça le pire ! -
D'épiceries en gros
Face à l'entrée desquelles,
Dans leurs sabots terreux d'âmes bougrement hommes,
Ils quêtent des bons points et des décorations
Tout en se dandinant à droite et puis à gauche
En serrant dans leurs paumes aux doigts pieusement joints
Les papiers quadrillés arrachés à la hâte de leurs cahiers jaunis
D'enfants soumis et tièdes.

Des papiers chiffonnés, quadrillés et jaunis,
Listes interminables
De leurs petits besoins et de leur folle envie,
De leurs mesquins désirs,
De leur course aux miracles.

Je suis las.
Las de n'être pas là.
Ou plutôt : las d'être assis là-bas
Alors que Je suis là.
Ou plutôt, disons-le clairement, une bonne fois pour toutes :
Las qu'ils Me cherchent en vain
En se tordant le cou
Tout là-haut tout là-bas,
Me maintenant assis,
Pour les siècles des siècles,
À même les nuées,
En plein cœur des nuages !

Hommes bougrement esclaves,
Indécrottablement,
Et qui se ratatinent,
Et qui se rabougrissent,
Tout recroquevillés dans une servitude
Qui Me déplaît à Moi...
Et qui leur plaît à eux.

Hommes bougrement terriens,
Pétris de servitude moulée par eux,
Pour eux.
Dans un élan glaiseux d'humilité rampante,
Ils s'entêtent, et s'écœurent,
Et « s'enâment » à Me voir, à Me représenter
Immense et gigantesque,
Brandissant d'une main un flamboyant éclair
- Sceptre de Ma Puissance, de Ma Force divine qu'ils disent invincible -
Et enveloppant de l'autre, quasi jalousement,
Un calice d'argent rempli jusqu'à ras bord
De Mes royaux bienfaits
Que cupide Je garde presque toujours pour moi,
Et qu'ils appellent entre eux,
À voix tonitruantes,
Riches bénédictions,
Ou tout doux, à voix basse (des fois que J'entendrais !)
Malheureusement rares.

Je suis las et pourtant
Je suis là.
... Je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde ...

Au cœur de leurs vies d'hommes
Terreusement terrestres,
Au cœur de leurs vies d'âmes
Terreusement humaines.
Je suis là à jamais. Pour les siècles des siècles.

... Et ils tournent leurs yeux vers le Mont Sinaï ...

Je suis là à jamais, pour la Vie de leurs vies
Et, les deux mains ouvertes au bout de leurs longs bras
Tendus vers les nuages où ils Me veulent assis
Pour les siècles des siècles sur Mon Trône de Gloire,
Ils attendent les miettes de Ma Table Royale.

Ils attendent ces miettes que Moi,
Dieu Tout Puissant, Jaloux et Souverain,
D'un revers de Ma manche, ample et désabusé,
Je brosserai, peut-être,
(Il faut bien, même au ciel faire un brin de ménage !)
Pour eux négligemment !

Ils attendent Mes miettes
Moins bien que Mes moineaux...
... regardez les oiseaux du ciel ...
Moins bien que Mes enfants...
... laissez venir à moi les petits enfants ...

Comme de terreux mendiants
Ils attendent Mes miettes,
Avec la même mine, piteuse et allongée,
Puisque dans leur logique
Théâtrale et miteuse, il faut, pour recevoir,
Que l'on fasse pitié.

Ils attendent Mes miettes
Avec la peur au ventre
Tant ils sont persuadés,
Dans leur vision étroite d'hommes bougrement myopes,
Que, suivant Mon désir d'Absolu Souverain,
Mon Souffle Capricieux poussera
« Oui... peut-être ? » ou
« Non... probablement ! »...
Mes miettes dans leurs mains,
Ou alors – « au contraire ! » et
« Oui ! évidemment ! »...
Dans celles aussi tendues
De leur pire ennemi.

Je suis là à jamais.
Au cœur de leurs vies d'âmes.
Au cœur de leurs vies d'hommes.
À leurs pieds de corps d'hommes
Au Lavement des pieds.
Un jour avant la Pâque de l'Ancien Testament,
Je suis là à jamais.

... Et ils tournent leur yeux vers le Mont Sinaï ...

Comme si ce Mont-là, le Mont de leurs ancêtres,
Devait masquer toujours à leurs regards tournés...
Et fixés... et figés sur un lointain passé
Ne les regardant plus,
Ma vraie Grandeur de Dieu qui Se fait Tout Petit,
Ma vraie Toute Puissance qui Se met à genoux
En mon Fils dévêtu jusqu'aux reins à leurs pieds,
Un jour avant la Pâque
Et trois jours avant Pâques.

Sera-t-il dit qu'un Dieu, leur Dieu,
Qui court à leur rencontre
... alors qu'il était encore loin, son père le vit et fut rempli de compassion; il courut  se jeter à son cou et l'embrassa  ...
Soit un Dieu bien trop tendre
Ou un Dieu bien trop Père ?

Sera-t-il dit qu'un Dieu, leur Dieu,
Qui prend l'initiative (Lui)
De les aimer chacun (d'eux)
... notre Père à chacun ... notre Père à chacune ...
Soit un Dieu trop patient
Ou un Dieu trop intime ?

Sera-t-il dit qu'un Dieu, leur Dieu,
... ne savez-vous pas que vous êtes le temple du Saint-Esprit ? ...
Qui n'est vraiment chez Lui
Qu'à l'intérieur des autres
Soit un Dieu bien trop pauvre
Ou un Dieu bien trop proche ?

Sera-t-il dit qu'un Dieu, leur Dieu,
Qui, dans l'élan Vie-tal
De Son cœur à leurs cœurs
Les nomme Ses amis
(Et non Ses serviteurs... pétris de servitude)
Ne leur fasse plus peur et...
Qu'ils aiment avoir peur !

Sera-t-il dit qu'après tout ce qu'Il leur a dit,
Mon Fils, quand Il était sur terre,
Ils n'aient pas compris...
... pour qu'ils tournent leurs yeux
    vers un lointain passé
    ne les regardant plus.

... pour qu'ils tournent leurs yeux vers le Mont Sinaï ...

Oubliant carrément
Le Mont des Oliviers
Et le Mont Golgotha
Où pour eux sur la Croix
Mon Fils,
Les bras tendus et les deux mains clouées
Leur offrait Mon Amour
Tout entier et sans miettes,
Le jour même de la Pâque
Et trois jours avant Pâques.

Sera-t-il vraiment dit,
Pour toujours et à vie,
À vie terrestre d'homme ?

C'est à ne pas y croire !

Et pourtant Moi, dit Dieu,
Et pourtant Moi, je crois !
On pourrait même dire
Que Je sois le premier
À avoir cru vraiment,
Sans détours ni malices.
Que Je sois le premier,
Au travers de mon Fils
À avoir cru vraiment...
... il prit alors les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux au ciel, dit la bénédiction puis, rompant les pains, les donna aux disciples, qui les donnèrent aux foules ...
Il attendaient Mes miettes...
... et tous mangèrent à satiété ...

C'est un peu sûrement parce qu'Il savait déjà,
Mon Fils au milieu d'eux,
Qu'après deux fois de suite
De multiplication de pains et de poissons
ça ne suffirait pas.

Oui ! C'est sûrement pour cela
Qu'un jour avant la Pâque
Et trois jours avant Pâques,
Mon Fils rompit le pain
Pour eux tous en disant :
... prenez et mangez-en car ceci est mon corps ...

C'est beaucoup sûrement 
Parce qu'ils n'ont pas compris,
Mes tout petits enfants
Aux âmes bougrement hommes...
Oui ! C'est sûrement pour cela
Que deux mille ans plus tard,
Après deux mille Pâques
D'un Nouveau Testament,
Ils tournent encore leurs yeux
(Comme s'ils le regrettaient)
Vers le Mont Sinaï...
...  D'où ils attendent encore
    Que tombent dans leurs mains
    Les miettes de Ma Table
    Où sans eux je festoie
    Par-delà les nuées ...
              ... Comme ils aiment à le croire ...
Marie-Claude Pellerin
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