Noël / Pèlerin de l'Avent /

9 DÉCEMBRE JOSEPH... ET BIEN D'AUTRES

Publié le 05/02/2025 par Modotre

Tiens mais ! On est… demain ! Pourtant j’ai de la peine à quitter cet hier où Marie, vierge et pure, acceptait les « folies » de son Dieu stupéfiant. Il me semblerait même, avançant vers ce « neuf » à mon calendrier, laisser croupir au « huit » un personnage-clé de la Sainte Famille. Je n’ouvrirai donc point le carreau quotidien, sûre de n’y trouver qu’une pive ou trois noix… en place de Joseph ! Et c’est ce qui m’agace et me peine à la fois. Parce que, si Dieu Lui-Même avait institué les commémorations, Il n’aurait certes pas omis de rappeler chaque année à l’Avent, « L’Humble non-Conception » et « La Tendre Adoption » de Joseph, accordant à Marie et l’Enfant paix et sécurité au-delà de Noël.
Mais c’est souvent ainsi chez nous autres, Terriens : toujours prompts à jeter en pâture au « bon peuple » un viol abominable ou un traître abandon, décrit en grasses lettres au torchon des journaux, mais rarement enclins à offrir, au dessert, l’exemplaire conduite envers femme ou enfant d’un Joseph qui, discret, n’en tirerait pas gloire.
… ou bien alors peut-être… serait-ce par pudeur, par souci de garder
    intacte à nos esprits cette (triste) notion qu’un père, ou qu’un mari,
    n’a pas du tout besoin qu’on lui lance des fleurs à lui, roc invincible
    et, de surcroît, viril !

Soupesant mes propos, papa, je pense à toi. À toi qui fus mon père et ma mère à la fois et dont le nom, jamais, ne fut canonisé. Tu n’étais ni un saint (!), ni même charpentier et pourtant : tu étais mon Héros et de toi je suis fière.
Face au calendrier conduisant à Noël, je fredonne tous ceux que tu jouais pour nous sur le grand piano noir s’éclairant sous tes doigts. Debout à tes côtés je chantais à tue-tête et – souviens-t’en, c’est drôle ! – je ne m’arrêtais pas de balancer le buste au tempo de tes airs. C’est toi qui m’as donné ce goût et cette soif de musique à tout prix. Certains jours, tu disais :
« Venez car aujourd’hui, on va faire éclater les orgues interdites ! »
Et tu nous emmenais de village en église, où nous t’aidions tous trois à dénicher la clé de l’instrument sacré. Souvent le sacristain surgissait bien avant que nous l’ayons trouvée, et tout se terminait sous sa « sainte semonce », nous privant, rabat-joie, de notre droit d’asile. Mais si, comble de chance, il te reconnaissait… alors :
 
Toi, tu faisais chanter les vitraux de l’église
Aux tons de l'arc-en-ciel ruisselant sous tes doigts.
Quand pour moi tu mêlais au souffle de la brise
Un triolet de flûte ou le jeu des hautbois

Bambin, je m'envolais vers de folles prairies
Où j'étais pastoureau d'un caressant mouton.
Aux voix de ta musique enflant mes rêveries,
Exalté je priais que l'orgue hausse le ton

Et boursoufle d’accords les triomphants nuages
Rebondis sous tes pieds puis roulés par tes mains
Avant de s’éclater en fabuleux orages,
Foudroyant d’un seul coup nonnes et sacristains.

On m’a dit qu'Au-Delà se niche une chapelle
Où source un long concert que boivent genoux
Des pâtres angelots. Si la fable est réelle,
De tes bergers joufflus - papa - je suis jaloux.
 
Tu dois rire en lisant que dans mon souvenir, je ne parle de moi qu’au genre masculin. Mais je sais bien qu’au fond tu ne t’étonnes guère. Rappelle-toi ma joie, quand tu nous promenais, d’entendre les passants dire en nous rencontrant :
« Tiens ! Voilà Papa-Poule avec ses trois garçons » !
Maintenant je suis mère… et grand-mère ! Comme on change…
Je ne te lancerai point de gerbes de fleurs car tu ne les aimais qu’au-dessus de tes vignes. D’ailleurs, tu connaissais tous leurs noms par dizaines, que tu désespérais d’inculquer « ad vitam » à ma tête de mule ! Et puis vois-tu, papa, l’unique fleur des prés à la motte cueillie que j’ai voulu t’offrir… me laisse un goût salé, endeuillant mon sourire.

Dans l'herbe vive du jardin
0ù pullulaient les taupinières,
À deux genoux comme en prières
Je t'avais cueillie, enfantin,

Sûr que ton calice opalin
Au froid linceul de ses paupières
Sèmerait en blondes lisières
Ton doux pollen trompe-destin,

Effaçant l'absurde frontière
De l'éternité meurtrière
Qui déjà sabrait notre temps.

... Mais pourquoi ? lâche primevère !
À l'après-veille du printemps
T'es-tu fanée avec mon père ? ...
 
Aujourd’hui j’ai compris que sa vraie lâcheté eut été de survivre à tes yeux qui, pour elle, ont été quelques jours le soleil printanier
         … qu’elle a voulu rejoindre
            aux Vignes Éternelles.

Marie-Claude Pellerin
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