9 DÉCEMBRE JOSEPH... ET BIEN D'AUTRES
Tiens mais ! On
est… demain ! Pourtant j’ai de la peine à quitter cet hier où Marie,
vierge et pure, acceptait les « folies » de son Dieu stupéfiant. Il me
semblerait même, avançant vers ce « neuf » à mon calendrier,
laisser croupir au « huit » un personnage-clé de la Sainte Famille.
Je n’ouvrirai donc point le carreau quotidien, sûre de n’y trouver qu’une pive
ou trois noix… en place de Joseph ! Et c’est ce qui m’agace et me peine à
la fois. Parce que, si Dieu Lui-Même avait institué les commémorations, Il
n’aurait certes pas omis de rappeler chaque année à l’Avent, « L’Humble
non-Conception » et « La Tendre Adoption » de Joseph, accordant
à Marie et l’Enfant paix et sécurité au-delà de Noël. Mais c’est souvent ainsi chez nous autres, Terriens : toujours prompts à jeter en pâture au « bon peuple » un viol abominable ou un traître abandon, décrit en grasses lettres au torchon des journaux, mais rarement enclins à offrir, au dessert, l’exemplaire conduite envers femme ou enfant d’un Joseph qui, discret, n’en tirerait pas gloire. … ou bien alors peut-être… serait-ce par pudeur, par souci de garder intacte à nos esprits cette (triste) notion qu’un père, ou qu’un mari, n’a pas du tout besoin qu’on lui lance des fleurs à lui, roc invincible et, de surcroît, viril !
Soupesant
mes propos, papa, je pense à toi. À toi qui fus mon père et ma mère à la fois
et dont le nom, jamais, ne fut canonisé. Tu n’étais ni un saint (!), ni même charpentier et pourtant : tu étais mon Héros et de toi je suis fière. Face au calendrier conduisant à Noël, je fredonne tous ceux que tu jouais pour nous sur le grand piano noir s’éclairant sous tes doigts. Debout à tes côtés je chantais à tue-tête et – souviens-t’en, c’est drôle ! – je ne m’arrêtais pas de balancer le buste au tempo de tes airs. C’est toi qui m’as donné ce goût et cette soif de musique à tout prix. Certains jours, tu disais : « Venez car aujourd’hui, on va faire éclater les orgues interdites ! » Et tu nous emmenais de village en église, où nous t’aidions tous trois à dénicher la clé de l’instrument sacré. Souvent le sacristain surgissait bien avant que nous l’ayons trouvée, et tout se terminait sous sa « sainte semonce », nous privant, rabat-joie, de notre droit d’asile. Mais si, comble de chance, il te reconnaissait… alors :
Tu dois rire en lisant que dans mon souvenir, je ne parle de moi
qu’au genre masculin. Mais je sais bien qu’au fond tu ne t’étonnes guère.
Rappelle-toi ma joie, quand tu nous promenais, d’entendre les passants dire en
nous rencontrant : « Tiens ! Voilà Papa-Poule avec ses trois garçons » ! Maintenant je suis mère… et grand-mère ! Comme on change… Je ne te lancerai point de gerbes de fleurs car tu ne les aimais qu’au-dessus de tes vignes. D’ailleurs, tu connaissais tous leurs noms par dizaines, que tu désespérais d’inculquer « ad vitam » à ma tête de mule ! Et puis vois-tu, papa, l’unique fleur des prés à la motte cueillie que j’ai voulu t’offrir… me laisse un goût salé, endeuillant mon sourire.
Aujourd’hui j’ai compris que sa vraie lâcheté eut été de
survivre à tes yeux qui, pour elle, ont été quelques jours le soleil printanier … qu’elle a voulu rejoindre aux Vignes Éternelles.
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